Droits Humains En Mer – Le Droit, La Réalité, L’Avenir

Avec une population humaine d’environ 30 millions de personnes en permanence, l’océan accueille une population d’environ la taille du Texas trop souvent invisible et oubliée pour le reste d’entre nous. La difficulté d’une gouvernance efficace de l’océan pose un sérieux défi aux droits humains, comme à de nombreux autres domaines de la règlementation maritime.

LE DROIT APPLICABLE

Il n’existe actuellement aucun instrument juridique sur mesure codifiant et protégeant les droits humains dans le contexte maritime. Il existe cependant un ensemble fragmenté de conventions maritimes qui traitent de certains droits humains spécifiques, comme la Convention du travail maritime (MLC) pour certains droits fondamentaux du travail, et la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS). L'obligation pour les marins de porter secours aux personnes en danger ou en détresse en mer figure également dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), un traité de 1982 qui définit la structure du droit international de la mer et fonctionne à bien des égards comme une sorte de Constitution des océans. Les droits humains ont été largement oubliés lors de la rédaction de cette convention, qui « a plus à dire sur la protection des poissons que sur la protection des personnes », et il est très peu probable qu'une renégociation complète de la CNUDM vienne corriger cette situation.

Outre ces conventions de droit de la mer, le droit national et international des droits humains s'applique en mer comme sur terre, où un État est compétent. Les États peuvent exercer leur juridiction en mer de trois manières principales : la juridiction de l'État côtier, la juridiction de l'État du pavillon et le contrôle de l'État du port.           

L'étendue de la juridiction de l'État côtier sur les navires de mer est codifiée par la CNUDM. En bref, plus vous vous éloignez de l'État côtier, moins il a le droit d'exercer sa juridiction sur vous.

 Les zones maritimes définies par la CNUDM vont des eaux intérieures de l'État côtier, dans lesquelles sa souveraineté est illimitée, à la haute mer (c'est-à-dire les eaux internationales), où l'État côtier n'a aucune compétence, sauf en ce qui concerne les crimes relevant de la compétence universelle, comme la piraterie. Entre ces deux extrêmes, les États sont en droit de revendiquer d'autres zones, notamment une mer territoriale de 12 milles marins et une zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles marins. Dans la mer territoriale, l'État côtier est tenu d'accorder aux navires étrangers un droit de passage inoffensif mais peut appliquer certaines catégories spécifiques de sa législation nationale. Dans la ZEE, l'État côtier peut simplement réglementer l'exploration et l'utilisation de ses ressources naturelles biologiques ou non.

Les droits humains ne sont pas expressément désignés comme une catégorie de droit applicable dans une zone maritime, de sorte que les États côtiers ne peuvent faire appliquer la législation sur les droits humains que si elle est intégrée dans une autre catégorie. La Déclaration de Genève sur les droits de l'homme en mer, une publication récente d'une ONG et un nouvel instrument potentiel de soft law, recommande aux États côtiers d'invoquer leur droit de suspendre le passage inoffensif d'un navire qui menace leur « bon ordre et/ou la sécurité » lorsque des violations des droits humains sont commises dans la mer territoriale, et d'utiliser leur juridiction dans la ZEE pour exiger que les navires qui utilisent ou explorent leurs ressources marines respectent la législation sur les droits humains.  

La compétence de l'État du pavillon repose sur l'exigence que tous les navires soient enregistrés auprès d'un État et qu'ils se conforment à toutes les lois et réglementations de cet État, où qu'ils se trouvent. La CNUDM mentionne seulement qu'il doit exister un « lien substantiel » entre un navire et l'État de son pavillon, mais ce critère est inutilement vague et les conséquences de son non-respect ne sont pas précisées. Dans la pratique, cela n'empêche pas les armateurs de choisir des « pavillons de complaisance », c'est-à-dire des États du pavillon dont les registres de navires sont ouverts aux navires étrangers, et qui ont généralement un certain laissez-faire en ce qui concerne l'élaboration et l'application des règlements.

Le contrôle par l'État du port est un régime d'inspection des navires par les autorités portuaires, conçu pour remédier à l'incapacité de nombreux États du pavillon à faire respecter les réglementations internationales en matière de transport maritime. Les ports se trouvant dans les eaux intérieures de l'État, celui-ci a toute autorité pour faire appliquer ces réglementations. Cependant, le contrôle par l'État du port est principalement le fruit de protocoles d'accord régionaux plutôt que de la CNUDM, et un nombre important d'États maritimes ne participent pas à ces accords. Le potentiel du contrôle par l'État du port, qui peut être utilisé comme un moyen d'appliquer la législation sur les droits humains dans toute son étendue, plutôt que de se contenter des dispositions qui sont formulées comme des règlements de navigation, reste inexploité de manière dévastatrice.           

LA RÉALITÉ

Ces mécanismes ne sont manifestement pas à la hauteur des besoins, puisque des violations des droits humains en mer sont signalées quotidiennement. Il est probable qu'elles soient beaucoup plus répandues que les chiffres laissent imaginer, car elles sont difficiles à observer et ne sont souvent pas signalées. La surveillance de ces violations est entravée par l'éloignement des navires en mer, et leur répression est obstruée par les limites de la juridiction des États en mer. À ce jour, la communauté internationale n'a pas réussi à mobiliser la volonté de s'attaquer à ce problème.

Le constat dressé par la Déclaration de Genève est accablant : le résultat cumulé de ces facteurs constitue "un environnement maritime où les personnes vulnérables peuvent subir des maltraitances, et dont leurs auteurs agissent souvent avec impunité et sans risque réel de condamnation ou de sanction". Cela donne alors un aperçu de certains des types les plus courants de violations des droits humains en mer.

La soumission des pêcheurs et autres marins à diverses formes et degrés d'abus est un thème récurrent, ce qui n'est peut-être pas surprenant puisqu'ils constituent la grande majorité de la population maritime. Le secteur illégal, non déclaré ou non réglementé (INN) de l'industrie mondiale de la pêche est particulièrement enclin à maltraiter les travailleurs, en recourant fréquemment à une main-d'œuvre mal payée, voire au travail des enfants ou à l'esclavage. Les travailleurs sont souvent recrutés dans ce secteur sous de faux prétextes, et nombre d'entre eux sont étrangement « perdus en mer » après avoir été malades ou blessés.

Les dispositions de base pour le bien-être physique et mental des marins sont souvent inadéquates dans l'ensemble de l'industrie maritime. Pendant les confinements du COVID-19, les marins ont souvent été empêchés de débarquer des navires pendant des mois au-delà de la fin de leur contrat, souvent sans accès aux fournitures médicales, aux vaccins ou aux équipements de protection individuelle, et isolés de leurs amis et de leur famille. La pratique consistant à abandonner purement et simplement l'équipage après la faillite d'une entreprise ou lors de l'arraisonnement d'un navire est courante et entraîne également d'énormes difficultés pour les marins qui se retrouvent bloqués à bord d'un navire potentiellement très éloigné de leur domicile.

Outre ces violations des droits sociaux, le monde maritime est en proie à diverses formes de violence. La piraterie est désignée comme un crime de compétence universelle, ce qui autorise les États à la combattre en haute mer, mais la CNUDM en donne une définition trop étroite en se concentrant sur les actes commis « à des fins privées ». L'étonnante obsession vis-à-vis le motif de l'auteur dans cette définition rend plus difficile la lutte contre la violence à motivation politique et le terrorisme, même si les dommages qui en résultent ne sont pas moins graves. On compte de plus en plus sur le personnel de sûreté armé sous contrat privé (PCASP) pour dissuader les attaques de pirates, mais son activité est mal réglementée et le PCASP est lui-même souvent l'auteur de violences en mer. Les violences sexuelles sont courantes en mer, notamment dans le cadre de la traite des êtres humains, mais aussi lors des croisières commerciales, où ces crimes sont commis par un grand nombre de suspects, sans surveillance efficace de l'État du pavillon et avec des armateurs qui ont intérêt à éviter la publicité d'une enquête. D'autres risques de préjudice direct et indirect émanent des activités des États, comme le ciblage illégal de navires non combattants pendant un conflit, ou les lois nationales visant à criminaliser ceux qui aident les demandeurs d'asile, ce qui peut compromettre l'obligation des marins à secourir les personnes en danger ou en détresse en mer.

LE FUTUR

Heureusement, les législateurs et le public pourrait commencer à prendre conscience des abus qui se produisent en mer. Au Royaume-Uni, la commission des relations internationales et de la défense de la Chambre des Lords vient de publier un rapport sur l'efficacité de la CNUDM face aux défis actuels de la gouvernance des océans. Ce rapport consacre 12 de ses 98 pages à la situation des droits humains en mer, en s'appuyant en partie sur les témoignages des auteurs de la Déclaration de Genève.

La Déclaration recommande à tous les États de promulguer la législation pertinente pour mettre en œuvre leurs obligations en vertu du droit international des droits humains, et de veiller à ce que les tribunaux nationaux soient compétents pour reconnaître, traiter et sanctionner les violations des droits humains dans leur juridiction maritime. Le suivi administratif et l'application de cette législation devraient également être cohérents.

Les États du pavillon doivent coopérer à l'exercice de la surveillance des droits humains par les États du port et les États côtiers dans toutes les zones maritimes, et ils doivent demander aux États du port et aux États côtiers d'immobiliser leurs navires en cas de violation des lois pertinentes de l'État du pavillon. Ils doivent s'assurer que les capitaines coopèrent avec les États du port et les États côtiers et qu'ils signalent eux-mêmes toute violation des droits humains à bord afin que l'État du pavillon puisse y remédier. Dans la mesure de leurs capacité, ils doivent surveiller et faire appliquer leurs propres lois sur les droits humains, en particulier en haute mer où l'État du pavillon est généralement le seul État compétent. Les États du pavillon doivent éviter de radier du registre des navires en haute mer à tout moment,même lorsqu'ils auraient des motifs légitimes de le faire, afin d'éviter de rendre le navire apatride et irresponsable.

Le rapport de la Chambre des Lords note que les complexités juridictionnelles du droit de la mer peuvent conduire à des cas où les tribunaux de tous les États concernés refusent d'accepter la compétence sur une affaire de droits humains contre un acteur non étatique, laissant la victime privée d’accès à un tribunal, et suggère que le gouvernement étudie la possibilité d'un mécanisme d'arbitrage conçu pour combler de telles lacunes dans l'accès à la justice. Un tel mécanisme pourrait également être utile en fournissant un forum spécialisé dans les litiges qui, contrairement à la plupart des organes internationaux des droits humains, n'exige pas que le demandeur ait d'abord épuisé tous les recours nationaux, ce qui, pour de nombreux demandeurs, est prohibitif en termes de coût et de temps.

Le rapport conclut que le statu quo fragmenté en matière de droits humains en mer est inadéquat et invite le gouvernement à travailler avec des « partenaires partageant les mêmes idées » pour développer une approche unifiée créant de nouveaux mécanismes en plus d’utiliser entièrement la gamme d'outils existants. Toutefois, il n'est pas certain que cet appel soit entendu par l'actuel gouvernement britannique conservateur, qui a déjà démontré son indifférence à l'égard de la sauvegarde des vies en mer dans le projet de loi sur la nationalité et les frontières. En espérant que d'autres puissances maritimes seront plus enclines à prendre l'initiative.

Joe Hodson is the paralegal at Sach Solicitors, a London shipping law firm. He holds a master's degree in international maritime law from Swansea University.

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